La nouvelle politique d’Amsterdam : Pas d’expulsion pour du vide…

[english] [nederlands]

En tant que squatteur à Amsterdam, il est douloureux de faire le bilan de l’année écoulée. L’année 2019 a porté un coup dur à un mouvement qui ne semblait pas capable de faire mieux que de prendre la raclée. La ville a perdu ses plus grands squats et malgré de nombreuses ouvertures, presque aucun nouveau squat n’a survécu à la fin de l’année. De plus, les politicienn-e-s ont essayé d’introduire une loi au niveau national pour criminaliser davantage les squatters, tandis que les médias ont rapporté à maintes reprises comment les propriétaires affligés sont trompés à répétition par les squatters. Pour couronner le tout, le maire conclut l’année avec un rapport sur une nouvelle politique visant à mettre en place une approche plus rigide sur les squats.
Il ne reste pas grand-chose à dire au-delà de 2019, année plutôt sombre, ce qui rend difficile de brosser un tableau optimiste des squats à Amsterdam en 2020.

Nous nous souvenons d’une année au cours de laquelle nous avons beaucoup perdu.

ADM

En commençant par l’expulsion de l’ADM. Attendue mais néanmoins douloureuse. 21 ans d’existance, à s’activiter, à travailler et à faire la fête sous la bannière de la liberté, tout en aspirant à être un exemple pour le reste de la ville et du monde. Un lieu où chacun-e se sentait la bienvenu-e (à quelques exceptions, des uniformes bleus), où l’argent n’avait aucun pouvoir (à part ce festival annuel assez coûteux), où la créativité régnait librement et où les gens ont construit ensemble un beau monde miniature dans une zone industrielle par ailleurs assez laide. Après des années de procès, de manœuvres politiques et de négociations avec la municipalité et les autres parties concernées, le rideau est tombé définitivement le 7 janvier. Ce faisant, la décision des Nations unies selon laquelle une expulsion serait contraire aux traités internationaux sur les droits de l’homme a été balayée. Face à une armée de police, soutenue par des agents de sécurité agressifs et violents (à la solde du propriétaire Chidda), il y a eu un peu de résistance symbolique pendant l’expulsion, après quoi les résident-es de l’ADM ont dû se reloger dans un endroit appelé Slibvelden (le champ de boue).
L’ADM est tombée aux mains de Chidda BV, l’héritier de Bertus Lüske (ancien propriétaire de l’ADM), dont les liens avec le milieu criminel étaient largement connus, surtout après son meurtre en 2003. Le personnage clé de l’accord entre la ville et Lüske était Ton Hooijmaijers, alors membre du VVD, entre-temps condamné pour corruption. Par ailleurs, Mr P. Koole, propriétaire de Koole BV et futur locataire du terrain, a été arrêté en Italie cet été, car il était recherché par Interpol. Quel merveilleux public! Ce sont les gens avec lesquels la municipalité veut faire des affaires ?

Bajesdorp

Bajesdorp a également dû souffrir cette année. Comme l’ADM, c’était un lieu d’habitation et de vie, de fête et d’organisation, et un espace inestimable pour les squatters, la ville et bien au-delà. Cet endroit, tout comme l’ADM, a dû faire place à de grosses sommes d’argent. Après des années de négociations intensives avec la municipalité et les propriétaires sur la légalisation, les plans sont enfin bouclés pour “Bajesdorp 2020”, un espace de création à construire à côté de l’ancien Bajesdorp.

Octobre 2019 – Bajesdorp en cours de démolition

ME

Le Mobiele Eenheid, un collectif qui a squatté un bâtiment sur le Gedempt Hamerkanaal au nord d’Amsterdam en octobre 2018 afin de créer un espace, autrefois si nombreux, c’est-à-dire un centre social, où les gens vivent. Un espace qui devait montrer la valeur ajoutée du réseau de squats au reste de la ville et rassembler les gens dans une lutte sociale commune, mais où finalement, avant l’expulsion au début de cette année, il n’y a eu que quelques fêtes organisées.
Les travaux de construction ont commencé assez tard dans l’année et ce n’est que dans certaines parties du bâtiment, le grand entrepôt, où les gens avaient l’habitude de traîner au bar l’année précédente, que l’on a l’impression que ça sent encore la bière éventée. L’hôtel de luxe promis par le propriétaire, Uri Ben Yakir, n’est pas encore arrivé. Il en va de même pour le nouveau squat que Mobiele Eenheid allait ouvrir. Malgré l’intention de poursuivre les activités et/ou la lutte après l’expulsion, rien n’a suivi au cours de l’année 2019 et il semble que “la première base du Mobiele Eenheid” sera aussi la dernière.

La maire Halsema démontre clairement ce qu’elle voulait vraiment dire par “protéger les franges qui rendent cette ville si belle“. Les figures de la pègre sont laissées en liberté tant qu’elles fournissent suffisamment d’argent, tandis que la scène underground est déchirée et ses restes doivent être balayés sous le tapis le plus rapidement possible.

Mars 2019 – Graffiti “Expulsé pour du vide”, sur l’ex-squat de Mobiele Eenheid, sur le Spijkerkade

Lutkemeerpolder

L’histoire du Lutkemeerpolder est potentiellement encore plus symptomatique de la façon dont le conseil municipal entend façonner cette ville. Même si ce n’est pas un squat, c’est un bon exemple, surtout pour tous ceux qui croyaient encore qu’un gouvernement de “gauche écolo” aurait pu donner naissance à une autre ville.

Cette zone naturelle est la dernière partie de la ville où les terres sont encore propices à l’agriculture. Pourtant, le gouvernement est d’avis qu’il doit être couvert par des industries. Par conséquent, il se peut que la ferme De Boterbloem en soit à sa dernière année, après un siècle d’existence. Le seul espace à Amsterdam où des aliments biologiques ont été cultivés et distribués localement à cette échelle aurait pu servir d’exemple pour montrer que le changement climatique n’a peut-être jamais progressé aussi loin. Au lieu de cela, il doit faire place à un centre de distribution vers lequel les produits les plus absurdes seront expédiés du monde entier pour y être stockés temporairement…
Une fois de plus, il faut mentionner Ton Hooijmaijers en tant qu’acteur majeur, qui a réussi à s’enrichir et à enrichir d’autres en réalisant l’accord entre la municipalité et les investisseurs. Une fois de plus, la municipalité montre que la corruption avérée n’a pas besoin d’être dissuasive, si l’on veut faire de l’argent et dans sa recherche du profit, l’écologie est entièrement mise de côté, quel que soit le parti pour lequel vous avez voté.

Septembre 2019 – Expulsion du Lutkemeerpolder

Beaucoup de pertes, peu de contreparties

Les centres sociaux squattés n’ont pas été les seuls à souffrir. Dans toute la ville, de grandes pertes ont été faites, alors qu’il ne reste que très peu de squats. Strekkerweg, Meeuwenlaan et Sophialaan ont été rapidement expulsés ; trois grands bâtiments où il s’est passé beaucoup de choses intéressantes, et qui ont offert à beaucoup de squatters un refuge pendant les quelques années de leur existence (mais pour lesquels les gens ne pouvaient toujours pas trouver de meilleurs noms). Malheureusement, beaucoup d’autres maisons squattées ont dû fermer leurs portes cette année, alors que le nombre de lieux encore squattés en 2019 peut se compter sur les doigts d’une main et même là, on n’a pas besoin de tous ses doigts. Comme pour beaucoup de bâtiments expulsés, il ne s’est pratiquement rien passé depuis le départ des squatters. De temps en temps, il y a des travaux de démolition, un panneau indiquant “Je travaille ici”, mais bien trop souvent, une affiche anti-squat apparaît sur la fenêtre, vous signifiant un doigt d’honneur invisible mais palpable chaque fois que vous passez devant votre ancienne maison.

À maintes reprises, les fonctionnaires municipaux et/ou les juges se rallient aux arguments louches et fallacieux des propriétaires, qui réussissent à faire valoir l’urgence des expulsions avec de fausses promesses et des plans vagues. Pourtant, ils sont rarement, voire jamais, tenus responsables de leurs responsabilités et de leurs fausses promesses. Le vide et le délabrement sont préférables aux yeux de la municipalité, apparemment plus que l’utilisation par les habitant-e-s qui sont prêt-e-s à retrousser leurs manches et à embellir cette ville.

Août 2019, van ‘t Hofflaan 16 occupé à Frankendael

Kadoelen

Parfois, cela va tellement loin que les propriétaires ne sont pas empêchés de prendre les choses en main pour expulser leur propriété. L’ancien café Kadoelen de Landsmeerdijk à Amsterdam Noord a été squatté en janvier de cette année. Peu de temps après, le propriétaire, sous les yeux de la police, a expulsé l’endroit en défonçant le toit avec une pelleteuse alors que les squatters parvenaient à peine à sortir de la maison à temps.
Le café était resté vide pendant un certain temps, car l’ancien exploitant avait été sommé de fermer son café après des années de délabrement causé par un mauvais entretien. Finalement, l’immeuble a été acheté par le spéculateur notoire F.F. Prud’homme de Lodder, qui prévoyait de construire des appartements de luxe à sa place mais n’a pas obtenu les permis nécessaires en raison du statut monumental de la maison, ce qui signifie qu’elle ne peut pas être démolie légalement. Au grand soulagement de nombreux habitants du quartier, qui soutenaient pleinement les squatters et auraient souhaité les voir faire revivre ce lieu historique, qui avait été un café pendant quatre siècles.
En vain. La municipalité avait décidé d’expulser les squatters pour des raisons de sécurité. Le propriétaire a alors mis ses paroles en pratique et a à moitié démoli le bâtiment à l’aide d’une pelleteuse, tandis que la police regardait en silence, semblant être d’accord. Le refus des permis de démolition qu’il avait demandés ne semblait pas poser de problème. Au lieu d’accorder aux squatters le temps de sauver ce bâtiment historique d’une nouvelle dégradation, le café délabré est laissé à pourrir entièrement. Il est actuellement protégé par des clôtures qui avertissent du danger d’effondrement et là où l’année dernière il y avait une fenêtre, une bâche bleue déchirée la remplace.

Février 2019, ancien Café Kadoelen de Landsmeerderdijk à Amsterdam Noord

Amstel

L’histoire d’Amstel 45 est similaire, celle d’une maison du canal sur le Blauwbrug, près de Waterlooplein, qui fut autrefois belle. Elle a été squattée en septembre après des années de vide et de délabrement. Le propriétaire, M. J.C.M. Veldhuijzen, est, avec 512 propriétés à son actif, l’un des spéculateurs les plus notoires d’Amsterdam. Veldhuijzen est en conflit avec la municipalité depuis des années en raison de ses plans pour cette maison. Il ne reçoit pas les permis requis et s’est vu imposer un arrêt de construction, suite à des travaux illégaux qui ont causé des dommages considérables au bâtiment. La procédure judiciaire entre Veldhuijzen et la municipalité était en cours pendant la période où il était squatté. Néanmoins, le juge a décidé qu’une expulsion est justifiée sur la base de l’intention de Veldhuizen d’effectuer des travaux qui, étant donné sa situation (arrêt de construction ! !) ne peuvent en aucun cas être définis comme urgents. L’invincibilité des criminels de l’immobilier dans un État de droit qui semble ne protéger que les grosses sommes d’argent est une fois de plus douloureusement illustrée.

Septembre 2019 – Amstel 45 squatté

Etc…

Il existe d’innombrables exemples de propriétaires qui restent impunis lorsqu’ils négligent leur propriété, alors que la promesse (ou la politique) de ne pas expulser pour cause de vide est devenue un concept de plus en plus oublié ou naïf.
La boulangerie de Buikslotermeerplein, qui a été squattée cet été après des années de vide, est actuellement gérée par un certain nombre de vélos, mais sinon rien de significatif ne semble se produire. Là où se trouvait autrefois un énorme entrepôt DHL sur la Hornweg, squatté en mai et habité pendant environ six semaines, se trouve aujourd’hui vide, clôturé par un panneau et une promesse vide de construire quelque chose de grand et de beau (en 2018 !). La pizzeria squattée de la Statenjachtstraat a été expulsée pour la énième fois pour cause de désamiantage urgent, mais après des mois de vide répété, tout ce qui a changé, c’est une clôture autour du bâtiment, contenant encore une autre promesse vide de construction qui ne se voit nulle part. Les bâtiments de la Jan Hanzenstraat, squattés au printemps, ont été expulsés au bout de quelques mois pour des plans qui n’ont jamais été mis en œuvre et il ne se passe pratiquement rien avec l’église de Nieuwendammerdijk qui a été squattée peu de temps après le début de cette année.
La liste est longue, mais pour terminer, il convient de mentionner l’ancienne discothèque sur la Buikslotermeerplein.

Septembere 2019 – l’ancienne Pizzeria de la Statenjachtstraat à Amsterdam Noord

La discothèque

Le bâtiment de la Buikslotermeerplein avait été squatté une première fois par We Are Here en 2018. À la fin de l’été, le bâtiment a de nouveau étésquatté dans le cadre de la manifestation nationale contre une proposition de loi visant à faire appliquer plus strictement l’interdiction de squatter. La discothèque, qui n’a pas été utilisée depuis de nombreuses années, est la propriété de la municipalité, qui a laissé le bâtiment vacant pendant tout ce temps. Avec l’arrivée de la ligne de métro nord-sud au début de cette année, la valeur de cette propriété va considérablement augmenter, tout comme les propriétés dans le reste du quartier et dans de nombreux autres quartiers d’Amsterdam Noord. La Buikslotermeerplein est située à la dernière station de la nouvelle ligne de métro et deviendra, dans les années à venir, un haut lieu de la gentrification. Pour l’instant, les plans de reconstruction et de modernisation du centre commercial semblent être reportés et la discothèque reste encore vide. We Are Here a dû partir car la municipalité a déclaré que le bâtiment était activement utilisé par un restaurateur de meubles. Après l’expulsion, tout signe de vie est resté absent (à l’exception d’épaisses couches de moisissure colorée à croissance rapide) et pendant l’occupation de cet été, aucune trace visible d’utilisation ou de travaux n’a pu être détectée. La municipalité a été prise en flagrant délit de mensonge mais décide à nouveau de procéder à une expulsion criminelle pour les mêmes raisons. Alors qu’autrefois les gens avaient l’habitude de danser (probablement sur une musique horrible), elle doit maintenant se taire jusqu’à ce qu’ici aussi le bruit des bulldozers et des machines de démolition étouffe les protestations des militant-e-es pour le logement.

5 septembre 2019 – Journée nationale d’acion contre la loi anti squat, Buikslotermeerplein 7 réoccupé

Nouvelle loi (ou pas de loi ?)

Au début de l’été, les squatters des Pays-Bas ont été surpris-e-s par la nouvelle d’une proposition de loi présentée par Mr Koerhuis (VVD) et Mr van Toorenburg (CDA). Leur “loi pour l’application de l’interdiction de squatter” devait marquer la fin des “crimes impunis” des squatters. En changeant les procédures légales, un juge commissaire pouvait ordonner une expulsion dans les trois jours à la demande d’un procureur, sans avoir à prendre en compte le point de vue des squatters. Cela permettrait de contourner complètement le concept de protection du domicile privé pour lequel on s’est battu en 2010. Tout comme à l’époque, des squatters de tout le pays se sont rassemblé-e-s pour manifester leur résistance et le 15 septembre, plusieurs actions de protestation ont été organisées dans différentes villes. Les gens ne se sont pas non plus laissés intimider au cours de l’année et ont continué à squatter différents endroits (avec plus ou moins de succès).

Hiver 2019, Asterweg 15C réoccupé pour une courte période

À la fin de l’année, la loi n’a pas été appliquée et la proposition semble avoir échouée. Cette proposition n’était pas la première tentative de ces messieurs de faire appliquer des procédures plus strictes pour les squatters. Auparavant, ils avaient soumis des motions ainsi que des questions à la Deuxième Chambre. Dans leur motivation pour cette nouvelle loi, ils écrivent que de pauvres propriétaires trompés sont incapables de récupérer les dommages financiers auprès de squatters criminels, qui sautent anonymement d’immeuble en immeuble, laissant derrière eux une traînée de destruction. L’image qu’ils cherchent à créer est ridicule en soi, mais, aussi intelligents soient-ils, les exemples mentionnés concernent précisément ces groupes qui ont souvent été reçus et décrits positivement par les médias et les voisins. Ce qui est particulièrement frappant, cependant, c’est l’énorme attention qu’ils portent à “We Are Here”.

We Are Here

Le groupe de demandeurs d’asile déboutés, qui squattent activement des bâtiments depuis près de huit ans afin d’héberger des personnes en situation précaire, connu sous le nom de We Are Here, a été régulièrement attaqué de différents côtés au cours des dernières années. Plusieurs des bâtiments dans lesquels eils vivaient ont été attaqués par des groupes d’extrême droite, qui protestaient contre leur existence en général. Les fenêtres et les murs des bâtiments ont été régulièrement couverts de slogans racistes et de menaces. Des manifestations ont eu lieu, au cours desquelles des femmes au foyer avec leurs frères et neveux, des banderoles et le drapeau néerlandais à la main, sous l’oeil bienveillant de la police, criaient des slogans tels que “Ghana, Afrique, dégagez!” ou “L’illégalité est criminelle !”, avant d’être escortées jusqu’au train ou au bus qui les ramènerait dans leur village d’origine pour cette sortie en groupe.
Les médias ont joué un rôle majeur dans ces expressions croissantes de haine en raison de leurs reportages majoritairement négatifs et de la mention explicite des adresses des squats de We Are Here. Un incident bien connu a eu lieu dans un bâtiment squatté du Westelijk Havengebied à Amsterdam. Lorsque le propriétaire a fait intrusion dans le bâtiment avec une équipe de tournage, ce groupe de squatters “illégaux” a eu le courage de protéger leur domicile et de refuser à cet homme l’accès à ses locaux. Les médias ont condamné le groupe, les médias sociaux ont crié encore plus fort, et naturellement certains politiciens ne pouvaient pas laisser passer cet incident sans commentaire.
Peu de temps après, la maire Halsema a répondu dans une interview sur AT5, promettant d’évaluer de manière critique la politique sur les squats afin de trouver une solution à ces abus et a même mentionné le recours à la police des frontières. D’ici la fin de l’année, elle parle d’une nouvelle politique qui est censée tenir sa promesse.

En attendant, la dernière “conquête” de We Are Here est un parking entièrement abandonné à Zuid Oost. Ce lieu n’offre littéralement pas plus qu’un toit ; il n’y a pas de murs, pas d’eau ni d’électricité et les gens dorment dans des tentes. C’est le danger que l’extrême droite met en garde et que le maire semble craindre. Ce sont les soi-disant criminels parasites, qui acquièrent constamment des luxes auxquels ils n’ont pas droit !
Alors que la maire Halsema conclut l’année 2019 en affichant sans vergogne ce qu’elle représente et ce qu’elle veut pour la ville, un autre groupe de personnes adopte une position opposée en cette première semaine de 2020. Pendant une journée de travail collective dans le garage de We Are Here, des squatters et des sympathisants ont aidé à construire des murs et des pièces et, en très peu de temps, une grande partie du bâtiment est devenue nettement plus vivable et agréable.

Mars 2019 – Le garage Kempering sur le Karspeldreef, au Bijlmer, l’ancien Vluchtgarage, squatté une première fois par We Are Here en décembre 2013

La lettre de Halsema

Dans une lettre adressée au conseil municipal fin décembre, la maire d’Amsterdam fait état des changements politiques “pour améliorer l’exécution de l’interdiction de squatter”.
Tout comme Koerhuis et Van Toorenburg au début de l’année, la majorité de sa lettre explique comment le groupe We Are Here et plus particulièrement l’incident du Westelijk Havengebied a inspiré le triangle sécuritaire (maire, procureur et chef de la police) à modifier la politique sur les squats.
Faisant écho à ses collègues de droite, elle souligne l’injustice de l’anonymat maintenu par les squatters et l’abus habile du système constitutionnel, par exemple en engageant des procédures judiciaires simplement pour retarder une expulsion.
Pour mettre fin à cette situation déplorable, trois points de la politique doivent être adaptés :
– “investir dans la position d’information” : Pour obtenir une image claire des squatters récidivistes, les expulsions ne seront pas toujours annoncées. Par conséquent, les squatters n’ont pas la possibilité de disparaître avant une expulsion, ce qui permet à la police de les arrêter et d’établir leur identité.
– “procédure judiciaire” : Le tribunal prévoit des procédures sommaires dans un délai de 2 à 3 semaines, au lieu de 6 à 8 semaines. En outre, le tribunal rendra, si possible, le verdict immédiatement et, en cas de verdict négatif, déterminera rapidement la date de l’expulsion.
– “intervention en cas de flagrant délit” : Au lieu d’enquêter d’abord sur la situation réelle, comme c’était le cas auparavant, la police interviendra directement en cas de flagrant délit pour empêcher l’établissement de la protection de domicile. Si le risque d’escalade est trop élevé, la consultation doit d’abord avoir lieu à l’intérieur du triangle.

Février 2019 – L’église Augustinus sur le Nieuwendammerdijk 227

Qu’est-ce qui va vraiment changer alors ?

Une expulsion sans annonce officielle n’est autorisée que dans le cas exceptionnel d’une expulsion en urgence. Les autres mesures concrètes visant à identifier les squatters ne sont pas mentionnées.
Les procédures sommaires sont régulièrement programmées plus tôt que dans 6 à 8 semaines, et si la date de l’expulsion est annoncée avec le verdict, le premier changement de politique semble quelque peu compromis. Le fait que les squats deviennent une plus grande priorité dans l’agenda du tribunal est scandaleux, si vous imaginez le nombre d’affaires réellement urgentes qu’il doit traiter.
Quant au troisième point, il a toujours été important pour le succès d’une ouverture que les squatters établissent la protection de leur domicile privé dans leur maison au lieu d’être pris en flagrant délit par la police lors de l’ouverture d’un bâtiment. Il n’est pas fait mention d’un changement de définition du flagrant délit, donc rien ne semble changer à cet égard.
Halsema conclut en affirmant qu’il n’y a pas eu d’expulsion pour du vide.
Dans l’ensemble, la lettre a pour but de nouer des amitiés à droite, de satisfaire des propriétaires en colère et des médias alarmistes et surtout de se donner une image de cheftaine, qui s’attaque activement aux problèmes et n’est certainement pas la petite fille de gauche que les gens ont encore en tête.
L’emploi de la police des frontières contre We Are Here n’apparaît pas dans sa lettre. Lors d’un débat d’urgence demandé par les membres du conseil de Groen Links, qui ont exigé des éclaircissements sur cette question, Halsema a répondu de façon inquiétante que “les clandestins, qui ne commettent pas de crimes, n’ont rien à craindre”.
En d’autres termes : quand est-il des clandestins qui continuent à squatter ?

Donc…

Nous sommes confronté-e-s à une politique plus stricte et même si les risques émergents sont encore inconnus, nous devrons les évaluer ensemble quoi qu’il arrive, car ils s’appliqueront à nous tou-te-s. L’attention de plus en plus négative des médias et de la politique, qui est perceptible depuis de nombreuses années, ne peut être combattue qu’en posant une opposition collective. De même, la démotivation et le découragement croissants des squatters ne peuvent être vaincus qu’en montrant que nous sommes toujours là et que nous devons agir ensemble afin de lutter pour notre version d’une ville vivable. Alors que le nombre de squatters dans la ville a considérablement diminué, le nombre de personnes qui doivent ou devront faire face aux conséquences ou aux aspects de cette lutte pour le logement, est en augmentation. Étant donné le nombre croissant de sans-abri dans la rue et la diminution des logements abordables dans la ville, l’urgence de solutions autonomes radicales devient de plus en plus pertinente.
Heureusement, de plus en plus de gens s’en rendent compte…

Niet te koop

Ce groupe d’action lutte contre la vente de logements sociaux dans la ville depuis 2016. Sous le nom de “Niet te koop”, un grand nombre de locataires, d’activistes, d’étudiant-e-s et de sympathisant-e-s se sont associé-e-s à des associations de locataires et à des groupes existants tels que Recht op Stad, Bond Precaire Woonvormen et Fair City. Leurs actions portent par exemple sur l’occupation d’immeubles afin de rappeler aux instances de logement social et aux politicien-ne-s leur responsabilité de fournir un espace de vie abordable dans une ville d’Amsterdam de plus en plus chère.

Sloterweg

Fin octobre, trois jolies petites maisons de la Sloterweg 711-713 ont été squattées. La municipalité allait démolir ces anciennes maisons d’ouvriers pour faire place à des parcelles de construction afin d’offrir aux riches un espace pour leurs coûteuses villas. Pour de nombreux habitants du quartier et autres admirateurs de la beauté, ces petits maisons ont une grande valeur historique, car ce sont les dernières maisons de ce type qui subsistent et qui étaient typiques du paysage autrefois si idyllique de ce quartier.
L’ouverture de ces maisons a provoqué un regain de lutte pour leur préservation, même si le groupe n’a pas pu y vivre très longtemps. Une expulsion a eu lieu dans les semaines qui ont suivi l’ouverture, mais les habitants du quartier et d’autres sympathisants ont continué à protester contre les plans de la municipalité et cette catastrophe patrimoniale a donc pu être évitée.

Dans un contexte un peu plus optimiste, il y a certainement des choses positives à dire sur l’année dernière. Les expulsions ont toujours fait partie de la vie des squats et la plupart des gens dans ces milieux n’ont jamais eu foi en un système juridique juste. Néanmoins, 2019 a également apporté un triomphe qui est extrêmement rare, et donc aussi extrêmement pertinent pour le mouvement des squatters.

Octobre 2019, Sloterweg 711-713 occupé pour une courte période

Het Klokhuis (Le trognon de pomme)

Pas de blague… Le 1er avril 2019, un groupe de squatters a gagné son procès contre l’Etat ! Les Kinderen van Mokum squattent activement des bâtiments depuis quelques années et, en tant que groupe, eils attirent l’attention sur la situation désastreuse bien connue du marché du logement, qui devient de plus en plus inaccessible, certainement pour la jeune génération d’Amsterdammers.
Le 30 septembre 2018, eils ont squatté le Zeeburgerpad 22, un bâtiment réouvert pour la 6ème fois, qu’eils ont appelé “Het Klokhuis”.
Depuis 1990, le propriétaire Appelbeheer BV a laissé l’immeuble vide à plusieurs reprises pendant de longues périodes, tout en parvenant à convaincre d’une manière ou d’une autre l’OM (le ministère de la justice) de l’expulser. Le 22 février, un avis d’expulsion est arrivé dans la boîte aux lettres pour la énième fois. Les résident-e-s du Klokhuis ont entamé une procédure judiciaire contre l’État, ont plaidé pour une interdiction complète de l’expulsion prévue et le tribunal a statué en leur faveur !

Octobre 2018 – Het Klokhuis sur le Zeeburgerpad 22 à nouveau squatté

Il y a donc encore de l’espoir… Ou quelque chose dans ce sens…

Il est évident que la nécessité de squatter est toujours présente, peut-être plus que jamais. Les prix des maisons montent en flèche et les listes d’attente pour des logements sociaux s’allongent si rapidement que certain-e-s n’auront littéralement jamais leur tour. La gentrification a fait que presque tous les quartiers où vivent des personnes à faibles revenus sont devenus trop chers pour leurs habitant-e-s, que presque tous les beaux endroits ont été transformés en lieux de rencontre branchés et que la ville offre plus d’installations pour les touristes que pour les Amsterdamois. Et ainsi de suite, blablabla… nous le savons tous maintenant. Heureusement, plus de gens semblent se réveiller. Outre l’attention négative dont les squatters font l’objet dans les médias, il y a aussi eu davantage de reportages sur certains individus, qui possèdent des centaines de propriétés avec lesquelles ils spéculent sans vergogne, ce qui a fait exploser le marché immobilier. Comme exemple révélateur, le prince Bernhard Junior, neveu du roi et homme d’affaires ambitieux, est fréquemment cité. Le Volkskrant a publié un article le 04.11.2017 contenant un aperçu des principaux acteurs du marché immobilier d’Amsterdam. Avec seulement 102 propriétés, le prince Bernhard n’est de loin pas en tête de la liste des gros poissons. A côté de noms comme J.C.M. Veldhuijzen avec 512 immeubles et J. Rappange avec 449 propriétés, notre prince semble loin d’être le roi sur le marché immobilier. Des sociétés comme Liander Infra avec 2357 immeubles et Bouwinvest Dutch Institutional Residential Fund avec pas moins de 5401 appartements sont en concurrence avec des investisseurs étrangers comme l’investisseur américain Blackstone qui a acheté des biens locatifs néerlandais pour 200 millions d’euros seulement cette année. En conséquence, les prix d’un appartement moyen augmentent et même si certain-e-s politicien-ne-s demandent des mesures pour mieux réguler le marché, il va sans dire que des solutions vraiment adéquates de la part du spectre politique font défaut.

Affiche satirique sur le prince Bernhard Junior

Il est question d’une bulle imminente sur le marché du logement alors qu’une véritable crise du logement dure depuis un certain temps déjà.
Il y a visiblement plus de sans-abri dans la ville et bien qu’Halsema affirme dans sa lettre qu’il y a beaucoup moins de bâtiments vides, quelque 600.000m2 de bureaux restent vides, souvent avec des affiches d’agences anti-squat derrière les fenêtres indiquant les espaces inutilisés. Halsema suit une politique de non-expulsion pour cause de vide mais a bafoué cette politique à plusieurs reprises sans aucune honte. Des affiches anti-squat sont apparues dans les vitrines de la discothèque, qui a été squattée pour souligner son hypocrisie, rendant ses mensonges flagrants. Même l’ADM est en fait toujours vide. Elle montre qu’elle préfère faire affaire avec des criminels plutôt que d’entrer en dialogue avec des squatters ou des militant-e-s. Et même si des accords comme ceux conclus avec l’ADM et le Lutkemeerpolder ont été conclus depuis un certain temps, la nature explicitement criminelle de ces affaires aurait pu être une raison suffisante pour dissoudre les accords ou au moins les suspendre jusqu’à une enquête plus approfondie. Alors que la maire et son conseil municipal s’en tiennent aux accords conclus avec des criminels, les conventions internationales sur les droits de l’homme et la longue tradition d’Amsterdam en matière de protection des minorités sont des options non contraignantes qui peuvent être négligemment balayées.
Elle menace d’employer la police des frontières contre We Are Here, de violer les droits légaux des squatters en général et les droits de ce groupe en particulier. Nous allons très probablement faire face à une action policière plus féroce et les campagnes de diffamation haineuses dans les médias se poursuivront certainement cette année.
En 2019, nous avons dû subir pas mal de coups et nous nous attendons également à ce que le bras fort frappe non moins impitoyablement en 2020. Est-il temps de riposter ?
La lutte pour le logement social dans laquelle nous, les squatters, sommes engagés par défaut, va devenir plus tendue, mais vous ne pouvez pas prétendre vous battre pour quelque chose, si vous avez trop peur de recevoir des coups. Je ne veux pas nécessairement appeler les gens à ramasser des bâtons et des pierres et à sortir dans la rue pour lutter littéralement contre l’autorité, mais nous devrons nous armer contre une menace collective croissante.
Veillez à vous tenir au courant des règles du jeu en constante évolution. Informez-vous, mais surtout informez-vous les un-e-s les autres, des problèmes auxquels nous devrons faire face et des solutions qui ont été trouvées pour les résoudre. Le partage des connaissances pratiques et juridiques et une attitude ouverte face aux idées divergentes, aux stratégies alternatives et aux plans créatifs sont essentiels pour un mouvement qui semble parfois assez bloqué. Il n’y a pas de place pour un comportement élitiste afin de se sentir mieux que le reste du monde, parce que c’est nous qui comprenons ce qui ne va pas. Nous devons tendre la main à tou-te-s les individu-e-s et groupes qui se battent pour une ville meilleure et, au lieu de considérer nos différences comme des facteurs exclusifs, nous devrions les considérer comme une valeur ajoutée potentielle à une lutte qui devra être menée à de nombreux niveaux de la société. Toute personne qui a des idées similaires sur la justice et un monde plus social est un allié potentiel et de ceux que l’on n’a jamais assez. Partout, il y a des locataires dupés, des étudiants sans domicile fixe, des jeunes militants pour le climat, des militants pour la justice sociale, des radicaux antiracistes, des habitants de quartiers défavorisés en colère ou “simplement des gens qui pensent que les fêtes dans les squats sont beaucoup plus agréables que celles du Paradiso ou ailleurs” et eils ont tous besoin d’un espace, où eils peuvent se plaindre de la façon dont les choses ne font qu’empirer.
Continuons donc à chercher des espaces inutilisés, non seulement pour y vivre, mais aussi pour offrir des lieux où nous pouvons imaginer ensemble à quoi pourrait ressembler un monde meilleur et mettre immédiatement nos idées en pratique.
Ou, vous savez… Allons ouvrir un squat !

(Ce texte a été envoyé aux éditeurs du Jakra 2019. Certaines des photos publiées ici sont de Hans.)
(Autre importante publication en 2019: Architecture of Appropriation. On Squatting as Spatial Practice)